Cela n’aura pas échappé aux fans des films made in Nigeria. Le pourcentage d’actrices à la peau « jaune », selon l’expression des Nigérians eux-mêmes, est impressionnant. Eh bien, c’est parce que Nollywood est un reflet fidèle de la société nigériane…
Nous percevons souvent le Nigéria comme un pays ayant une identité « authentiquement » africaine, fier de ses traditions sociales et ethniques. Ce rayonnement culturel et cette fierté nationale ont même été récemment célébrés dans un spot publicitaire de la marque Pepsi. Ce qu’on sait moins c’est que, paradoxalement, c’est le pays d’Afrique où on aime le moins sa couleur de peau. Le Nigéria détient le record mondial du pourcentage de femmes qui se blanchissent la peau : 77% des Nigérianes utilisent régulièrement des produits éclaircissants ou blanchissants.
Dabota Lawson, ancienne Reine de beauté
77% des Nigérianes « blanchissent » leur peau
Selon un rapport de World Wealth Organization, le Nigéria est de loin le pays le plus touché par cette pratique, qui concerne 2 femmes sur 3, suivi par le Togo où ce sont 59% des femmes qui se blanchissent régulièrement la peau, puis l’Afrique du Sud avec 35 %, le Sénégal avec 27% et le Mali avec 25%. Loin d’être taboue, la pratique du « blanchiment » au Nigéria est quasiment généralisée, toutes classes sociales, tous milieux, tous âges et tous niveaux d’éducation confondus. Dans ce pays où l’apparence et l’argent sont de véritables « obsessions sociales », elle a littéralement « pignon sur rue ». Le commerce des produits éclaircissants n’étant pas du tout règlementé, on peut trouver et acheter des crèmes, savons, tubes, pilules, injections, absolument partout, dans les supermarchés, les échoppes, auprès des vendeurs ambulants, et même les commander en ligne, notamment sur le célèbre site de vente en ligne, le « Amazon africain », Jumia.
L’actrice Susan Maxwell
Les Nigérians considèrent que s’éclaircir la peau c’est « gege », ce qui veut dire « cool ». De nombreuses nigérianes n’hésitent pas à exhiber fièrement et « étape par étape », leur « transformation » sur les réseaux sociaux. Elles donnent même des conseils sur les meilleures mélanges, potions, concoctions et méthodes, pour obtenir la peau la plus blanche. Comme dans toutes les populations noires où cette pratique est présente, l’argument est toujours le même : » la peau claire est considérée comme plus belle, les femmes à la peau claire sont celles qui trouvent plus facilement un mari ou s’élèvent plus rapidement dans la société « . La pratique est donc totalement assumée, comme l’illustre d’ailleurs les propos de l’actrice Tonto Dikeh, qui a déclaré : » Si vous n’aimez pas votre peau, changez-la ! ».
On « n’éclaircit » plus son teint, on se « Blanchit » la peau
L’usage de produits éclaircissants sur le continent africain ne date pas d’hier, il a même connu un premier boom dans les années 70, et cette « mode » venait des Etats Unis. Puis elle est tombée en disgrâce après constat des conséquences et effets secondaires désastreux sur la peau. Mais au Nigéria, cette pratique est revenue en force au début des années 2010 et a évolué pour devenir plus extrême, dans sa sémantique et comme dans sa symbolique. Le langage courant traduit parfaitement cette évolution. On est passé du mot « lightening « , qui consistait à « éclaircir » sa peau, aux termes « bleaching » et « Whitening » qui veulent littéralement dire « blanchir ». D’ailleurs, les images parlent d’elles-mêmes, la très grande majorité des actrices de Nollywood et des célébrités du showbiz reconnaissent se blanchir la peau pour devenir « Oyinbo », c’est-à-dire « Blanches » .
La Kenyane Vera Sidika
Se blanchir la peau, c’est « gege »
Si ce phénomène est globalement accepté par la société Nigériane, il compte quand même quelques détracteurs. Le chanteur Femi Kuti, notamment, ne cesse de le pointer du doigt comme le symbole du profond complexe d’infériorité des Africains face aux cultures étrangères, et plus particulièrement à la culture européenne, considérée comme l’idéal suprême. Mais le chanteur est bien seul face à un rituel que les femmes nigérianes démarrent dès leur plus jeune âge et pratiquent pendant des années. Hydroquinone, mercure, elles ne reculent devant aucun composant chimique, et pour celles qui ne sont pas assez « patientes », les produits ménagers font très bien l’affaire. L’ampleur du phénomène s’explique aussi par le fait que ces femmes en deviennent totalement dépendantes, pour ne pas dire accros au blanchiment. La célèbre make up artist Tenny Coco, qui a arrêté de se blanchir la peau, explique très bien les mécanismes de ce qui devient une véritable obsession.
Panneau publicitaire pour des produits éclaircissants de la marque Nivea au Ghana, avant l’interdiction.
La psychologie du « blanchiment de la peau »
Les nombreux psychologues, psychiatres, sociologues et anthropologues qui ont abordé cette question, s’accordent tous à dire que cette pratique est motivée par la conviction consciente ou inconsciente que le fait d’être plus proche de la peau des Blancs est plus attrayante, et que cet idéal trouvent ses racines dans le traumatisme de l’esclavage et du colonialisme. On peut cependant se poser la question de savoir si à l’heure de la mondialisation, les jeunes générations qui adoptent et amplifient cette pratique sont uniquement guidées par des réflexes « post-traumatiques » ? Ce phénomène « d’aliénation », ou de « racially motivated insecurity », tel que le décrivent certains spécialistes, et qui se traduit aussi par d’autres pratiques sociales au sein des populations noires, ne démontre-t’il pas à quel point les canons esthétiques et culturels caucasiens sont aujourd’hui plus dominants que jamais ?
Idéal de beauté caucasien… ou nigérian ?
Le fait qu’un pays comme le Nigéria est en train de devenir un véritable « modèle » pour les autres pays africains interroge également sur les canons esthétiques qu’il relaie, particulièrement à travers son cinéma. Car tout comme Hollywood a contribué à populariser la culture américaine à travers le monde, Nollywood diffuse la culture nigériane à travers le Continent. Les actrices et chanteuses nigérianes servent aujourd’hui de modèles à toute une génération de femmes africaines, car elles peuvent s’y identifier plus facilement. D’où la question : si ces femmes adoptent ou perpétuent la pratique du « blanchiment », le feront-elles pour ressembler à des célébrités blanches ou pour ressembler à des célébrités nigérianes ?
Panneau publicitaire pour des produits éclaircissants en Côte d’Ivoire
Produits éclaircissants et blanchissants dans un rayon de supermarché à Kinshasa, RD Congo
Le constat et les chiffres sont là, le phénomène de la dépigmentation, même si il n’a pas la même ampleur dans tous les pays, reste encore profondément ancré dans les pratiques esthétiques sur le Continent. A l’exception du Ghana, qui a formellement interdit la commercialisation des produits éclaircissants, dans toutes les capitales africaines des panneaux publicitaires s’affichent librement pour promouvoir le blanchiment de la peau, sans que personne ou si peu, dans la société civile comme dans les institutions de santé publique, ne s’en émeuve. Ce qui semble confirmer, pour les femmes qui ont recours à cette pratique, que la société la considère bel et bien comme « normale ».
T.M.K
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